Skynet 1 – Humanité 0
Je parlais de mon avenir de développeur hier, mais l’actualité revient en force pour enfoncer le clou.
Je ne vous parle pas de l’Europe qui essaie de se débarrasser de Microsoft pour OpenDesk et qui semblerait il va enfin essayer de prendre ses distances avec les GAFAM, parce qu’il est bien trop tard pour ça.
Je parlais du move de Canva qui investit à donf dans l’intelligence artificielle, mais qui avait aussi racheté la suite Affinity avec un retoucheur d’image, un logiciel de PAO et Designer (j’avoue que je n’ai jamais ouvert ce logiciel). Canva vient donc d’annoncer la sortir d’une nouvelle version de la suite pour les créatifs, complètement gratuite. Sauf que vous êtes le produit. Tous les designs que vous allez faire vont être récupérés pour entrainer les modèles de Canva et lui faire gagner une marche contre les autres IA génératives qui créent des images.
Pourquoi j’ai parlé de Skynet ?
Et bien parce que la PAO et ces outils intimes de la création graphique avaient pour l’instant échappé à nous transformer en esclaves pour la machine, mais là on voit bien que le verrou ne va pas tenir longtemps. Tu veux faire de la PAO mais tu ne veux pas bosser pour Canva : repasse sur Indesign… qui va aller nourrir Adobe Firefly et ses succédanés. Toutes les entreprises américaines vont utiliser les millions d’utilisateurs qu’ils ont à disposition pour entrainer la prochaine génération de modèles, celle qui sera suffisamment intelligente pour donner des résultats plus performants que ce que font les humains.
La première vague visait à se passer de codeurs, mais la seconde vague sera clairement pour se passer des graphistes et des rédacteurs. Pour que les grandes entreprises puissent produire leur marketing et leurs sites de vente à très faible coût, sans avoir à gérer de personnel, à faire produire toutes les merdes qu’ils auront vendu par la Chine, et à continuer à engendrer plus d’argent. Jacques Ellul nous avait prévenu que la technologie était au service des élites, et l’IA en est un parfait exemple. Demain, nous allons tous surveiller ce que fait l’IA parce que si nous ne le faisons pas, nous n’aurons plus de salaire. Cela laissera tout le temps à Skynet de voir le jour, vous ne croyez pas ? Par contre, pour ce qui est de Sarah Connor et du Terminator, j’ai plus de doute. La taxe Zucman a été rejetée, et personne ne va descendre dans les rues pour mettre la tête des responsables sur des piques. On est tous trop occupés à patauger dans notre merde.
La bonne nouvelle de la semaine, c’est Billie Eillish qui fait un sermon aux milliardaires après une généreuse donation à des associations environnementales. Pas sur que ça les émeuve, mais elle a dit tout haut ce qu’on pensait tout bas.
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Développeur à mi-temps
Alex a sorti une vidéo sur l’avenir des développeurs :
Bien sur, il fait sa pub pour sa communauté, mais il amène des réflexions qui sont très pertinentes. Notamment, le rôle de l’augmentation du contexte sur la capacité de l’IA a répondre mieux que l’humain. D’ici deux ou trois ans, les codeurs auront disparu parce que l’IA ne codera pas non seulement vraiment plus vite, mais elle codera mieux, de manière plus sécure (car elle est capable de réfléchir à tous les scénarios possibles et de les tester avant même qu’on est le temps de faire appel à notre expertise).
Que vont faire tous les développeurs sur le carreau ? Vont-ils comme le souhaite Alex se former à piloter l’IA de manière extrêmement qualitative ? Mon beau-frère vient de se faire virer de sa boîte américaine, qui ferme au printemps 2026, mais ils vont garder quelques gars pour terminer les projets. Les gars qui vont tenir la chandelle alors que tous les autres seront partis, et qui seront éjectés quand même. Le chant des cygnes s’amorce, et peut-être qu’il y a encore des postes pour des développeurs capables de commander à l’IA. ou peut-être qu’après deux ou trois ans à bien diriger les IAs, ces mêmes devs se feront éjecter car l’IA sera plus capable qu’eux de prendre des décisions sur le projet.
Skynet se rapproche inévitablement. Mais bon, tout codeur que je connais kiffe internet, kiffe développer, kiffe créer un projet à partir de rien et voir des gens s’en servir. Et pour l’instant, je ne peux qu’être grisé de coder beaucoup plus vite qu’avant, et de ne plus me prendre la tête sur les détails. C’est un peu comme une cuite, au début il y a l’euphorie. Et puis, quand je regarde ma semaine à faire avancer trois projets dans trois terminaux différents, les yeux explosés, à n’avoir fait que de contrôler ce que la machine faisait, je me demande à nouveau : est-ce que je veux vraiment me reconvertir en chef opérateur IA, en reviewer de luxe pour les géants de la tech (fascistes) américains ?
Je sais pour la planète, pour l’éthique, pour tout cela. Mais Alex a une réflexion dans sa vidéo : regardez toutes les boites d’IA génératives, elles se spécialisent dans les outils pour faire du code. Le métier de développeur est le premier sur la liste des métiers qui vont être remplacés. Alors oui, dissonance cognitive, lapidez moi à coups de pierre, je suis une merde, mais j’essaie de sauver ma carrière, de continuer à rapporter un salaire à ma famille. Avec la réflexion ci-dessus en tête, que de toute façon je signe avec le diable, mais que celui-ci va certainement de toute façon me duper.
Et sinon faire quoi ? Des tentatives de reconversions, j’en ai déjà tentées. Pas si facile de se réinventer, surtout quand on aimait son travail et qu’à part coûter cher à la mutuelle pour les yeux, le dos, les oreilles, la dangerosité du boulot était assez basse.
Qu’est-ce que tous les développeurs du monde vont faire, une fois qu’on aura plus besoin d’eux ? Je repense alors à Pierre Rabhi, qui disait que tout le monde devrait être jardinier à mi-temps, garder un lien entre le geste et le vivant. J’ai essayé le maraîchage, l’évidence n’est pas si facile à chopper. En attendant, l’idée de continuer à être chef opérateur IA par nostalgie et apprendre un nouveau métier pourra en séduire plus d’un. D’ailleurs la (fausse) promesse de l’IA est de nous faire gagner du temps, il faut bien qu’on le dépense.
Comme disait la reine Guenièvre, on n’est quand même pas trop sorti du sable.
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Est-ce bien de vieillir ?
Sur Youtube, je suis tombé sur une retransmission de l’interview de Samuel Etienne d’Alexandre Astier sur sa chaîne Twitch. Je savais déjà qu’on avait le même âge, Alexandre et moi, une comparaison peu flatteuse si je compare nos cvs respectifs mais là n’est pas la question. Je n’ai ni son intelligence ni sa sagesse, mais il n’empêche que nous avons tout de même quelques points communs. Ce truc de dire qu’il expérimente par exemple, moi je parle toujours d’expériences. Le fait de se considérer comme un gamin à 51 ans. Le fait de penser que ses enfants attendront sa mort pour qu’ils connaissent la valeur de ce qu’il leur a apportée. Son rapport à l’ennui et au fait de détester refaire les mêmes choses.
Samuel Étienne a parlé de ces scientifiques qui nous promettent une vie jusqu’à 150 ans, sous les ricanements d’AA qui se voit déjà bien assez fatigué à son âge. Néanmoins, alors qu’il était facilement donneur de leçons dans ses apparitions à la quarantaine, le quinquagénaire au visage un peu plus ridé parle volontiers de ses enfants, d’éducation, de transmission, de temps long, et je me projette dans cette transformation d’énergie qui l’amène à débattre les bras croisés le sourire bienveillant et les remarques dépassées sur le chat, dans la grande posture du “C’est plus pour moi tout cela”.
En évoquant sa saga Kaamelott où les acteurs vont et viennent et surtout vieillissent – ses filles auront pris 20 ans entre deux tournages – il rêve de jouer Arthur avec une tête de vieux, et se félicite de voir la compagnie vieillir avec lui. Une vision à rattacher peut-être à sa culture du théâtre, où les comédiens jouent jusqu’à mourir sur les planches, par opposition au monde du divertissement actuel accusé de jeunisme et de jugement excessif sur l’apparence. Lui qui se voit encore entreprendre de nombreux projets et caser Kaamelott entre eux pendant 20 ans semble être en paix avec son passé et avec son âge actuel.
Nous sommes des grains de poussière dans l’univers. Vanité de croire que notre existence aura une grandeur autre que celle d’enrichir les personnes que nous avons croisées d’interactions, d’émotions, de vécus communs. Portés par des vents solaires, nous avons souvent tous dans le même sens, mais nous sommes tout de même seuls dans l’immensité. Nous sommes fringuants, ou usés par le voyage, mais tous logés à la même enseigne. Le regard que nous portons sur nous et notre trajectoire définit si nous vieillissons bien. Tout le reste n’est que du marketing et du bruit.
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La comédie des premiers ministres
Après avoir battu le “record” du gouvernement le plus éphémère de la Ve République, les mèmes se multiplient sur les réseaux sociaux. Bill Murray annonçant “encore” la nomination d'un Premier ministre, des blagues sur la durée de vie d'un yaourt comparée à celle d'un gouvernement... Le rire est salvateur, certes, mais il a aussi quelque chose de pathétique. On rit pour ne pas pleurer, pour ne pas hurler surtout.
La valse des Premiers ministres n'est pas qu'une anecdote embarrassante pour les dîners en ville. Elle révèle que nos institutions sont devenues une coquille vide, un décor de carton-pâte qu'on repeint tous les trois mois en espérant que personne ne remarque les fissures. La manipulation des élections par les milliardaires et les puissants a créé un monstre : un Jupiter omnipotent mais impuissant, qui règne sans gouverner pendant que ses Premiers ministres défilent comme des figurants interchangeables. La bipolarisation rassurante s'est effondrée, et le vernis qui fait croire au peuple qu’il a encore une forme de pouvoir a explosé avec les dernières décisions présidentielles. Le résultat ? Un exécutif paralysé, des Premiers ministres avec la durée de vie d'une mayonnaise en plein soleil, et une défiance démocratique qui crève tous les plafonds.
Pendant qu'on partage des mèmes hilarants sur les réseaux sociaux, le pays est en pilotage automatique. Enfin, visiblement le vote du budget est suffisamment préoccupant pour qu’on ne fasse pas un copier coller de l’année précédente comme l’année dernière. On gère l'urgence, on colmate les brèches, on survit. C'est pittoresque, mais franchement, on mérite mieux qu'un sketch permanent des Guignols.
Et la VIe République ? L'idée traîne depuis des années dans le programme de la France Insoumise, souvent accueillie avec des levées de bouclier préventives. Discuter du fonctionnement des institutions pour une vraie réforme nécessite pourtant que ceux qui ont actuellement le pouvoir ne s’accrochent pas pour le garder à tout crin. Dans les faits, personne n'a vraiment envie de s'y coller. Refonder une République, c'est compliqué, ça prend du temps, et surtout ça obligerait ceux qui profitent du système actuel à renoncer à leurs privilèges (et là je vous inclus probablement dedans, moi aussi).
Ce qui est certain, c'est que le statu quo n'est plus tenable. Chaque gouvernement éclair renforce le sentiment que voter ne sert à rien, que “de toute façon, rien ne change”, que tout ça n'est qu'un théâtre d'ombres où les acteurs changent mais la pièce reste la même. Et on dynamite les résultats en criant au bouclier républicain pour faire barrage contre les extrêmes. C'est un cercle vicieux mortifère : plus les institutions dysfonctionnent, plus les gens s'en détournent, plus les extrêmes prospèrent, plus le système se bloque.
Alors oui, continuons à rire des mèmes. C'est sain, c'est même nécessaire. Mais si on se contente de ça, si on se satisfait du rôle de spectateurs goguenards d'une démocratie qui part en vrille, on ne pourra pas dire qu'on ne savait pas. Derrière la bouffonnerie apparente se cache une question vertigineuse qu'on refuse collectivement d'affronter : sommes-nous en démocratie, est-ce que le peuple a vraiment envie de prendre les rênes de son destin ?
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