La comédie des premiers ministres

Après avoir battu le “record” du gouvernement le plus éphémère de la Ve République, les mèmes se multiplient sur les réseaux sociaux. Bill Murray annonçant “encore” la nomination d'un Premier ministre, des blagues sur la durée de vie d'un yaourt comparée à celle d'un gouvernement... Le rire est salvateur, certes, mais il a aussi quelque chose de pathétique. On rit pour ne pas pleurer, pour ne pas hurler surtout.

La valse des Premiers ministres n'est pas qu'une anecdote embarrassante pour les dîners en ville. Elle révèle que nos institutions sont devenues une coquille vide, un décor de carton-pâte qu'on repeint tous les trois mois en espérant que personne ne remarque les fissures. La manipulation des élections par les milliardaires et les puissants a créé un monstre : un Jupiter omnipotent mais impuissant, qui règne sans gouverner pendant que ses Premiers ministres défilent comme des figurants interchangeables. La bipolarisation rassurante s'est effondrée, et le vernis qui fait croire au peuple qu’il a encore une forme de pouvoir a explosé avec les dernières décisions présidentielles. Le résultat ? Un exécutif paralysé, des Premiers ministres avec la durée de vie d'une mayonnaise en plein soleil, et une défiance démocratique qui crève tous les plafonds.

Pendant qu'on partage des mèmes hilarants sur les réseaux sociaux, le pays est en pilotage automatique. Enfin, visiblement le vote du budget est suffisamment préoccupant pour qu’on ne fasse pas un copier coller de l’année précédente comme l’année dernière. On gère l'urgence, on colmate les brèches, on survit. C'est pittoresque, mais franchement, on mérite mieux qu'un sketch permanent des Guignols.

Et la VIe République ? L'idée traîne depuis des années dans le programme de la France Insoumise, souvent accueillie avec des levées de bouclier préventives. Discuter du fonctionnement des institutions pour une vraie réforme nécessite pourtant que ceux qui ont actuellement le pouvoir ne s’accrochent pas pour le garder à tout crin. Dans les faits, personne n'a vraiment envie de s'y coller. Refonder une République, c'est compliqué, ça prend du temps, et surtout ça obligerait ceux qui profitent du système actuel à renoncer à leurs privilèges (et là je vous inclus probablement dedans, moi aussi).

Ce qui est certain, c'est que le statu quo n'est plus tenable. Chaque gouvernement éclair renforce le sentiment que voter ne sert à rien, que “de toute façon, rien ne change”, que tout ça n'est qu'un théâtre d'ombres où les acteurs changent mais la pièce reste la même. Et on dynamite les résultats en criant au bouclier républicain pour faire barrage contre les extrêmes. C'est un cercle vicieux mortifère : plus les institutions dysfonctionnent, plus les gens s'en détournent, plus les extrêmes prospèrent, plus le système se bloque.

Alors oui, continuons à rire des mèmes. C'est sain, c'est même nécessaire. Mais si on se contente de ça, si on se satisfait du rôle de spectateurs goguenards d'une démocratie qui part en vrille, on ne pourra pas dire qu'on ne savait pas. Derrière la bouffonnerie apparente se cache une question vertigineuse qu'on refuse collectivement d'affronter : sommes-nous en démocratie, est-ce que le peuple a vraiment envie de prendre les rênes de son destin ?

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